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Antoine Leménestrel

A une certaine époque, je me suis laissé entièrement guider par la dynamique des voies extrêmes. Il fallait escalader des voies de plus en plus difficiles. Pourtant, l’essentiel était, et reste à mes yeux, de donner le meilleur de moi-même, à mon niveau!  » Une grande émotivité caractérise ce Parisien extrêmement sensible qui, pendant les années 80, incarnait pour beaucoup de Français l’image même d’une nouvelle génération de grimpeurs . une aura entourait Antoine. Son dévouement total, son extraordinaire créativité, son style dynamique, ces gestes gracieux comme ceux d’un danseur mais très efficaces, le tout associé à une force exceptionnelle, fascinent également les étoiles montantes comme François Legrand, sur qui Antoine a eu un énorme ascendant.

Depuis sa plus tendre enfance, Antoine fréquente, avec ses parents, les zones d’escalades de la région parisienne. C’est là qu’il rencontre Laurent Jacob et Fabrice Guillot avant de former ce groupe qui, avec son frère, constituera le célèbre  » gang des Parisiens « . Extrêmement ambitieux,.: Antoine fournit des efforts incroyables pour réaliser chacune de ses ascensions.  » Dès qu’il s’attaquait à une voie, elle devenait l’unique sens de sa vie. Tout son être se concentrait vers ce but, si bien qu’il devait la gravir pour survivre « , raconte son frère Marc. Constamment, Antoine recommence les tractions qu’il n’arrive pas à effectuer, parfois même il se lance dans de sérieuses tentatives en libre, sans pour autant pouvoir escalader tous les passages! Il rate un  » jeté  » une centaine de fois dans La Rose et le Vampire et presque autant dans La Rage de vivre, tou-jours au même endroit, jusqu’à ce qu’il puisse gravir la voie en entier. Dans La Rage de vivre, aujourd’hui encore considérée comme le symbole de l’art français de l’escalade, Antoine élargit quelques trous en nettoyant et en limant les bords coupants et friables.  » L’éthique a son importance, mais le principal est ta conscience du rocher. Toi seul décides si tu es ou non en harmonie avec la roche. Autrefois, tu pouvais définir tes règles toi-même et c’était ce que l’escalade avait de bien. Aujourd’hui, comme elle est beaucoup plus intégrée dans notre société, c’est pra-tiquement impossible de faire tout ce qu’on veut. Il faudrait prendre davantage conscience, et veiller à ce que les rochers et le potentiel d’une voie puissent être préservés pour les générations futures. « 

La qualité des mouvements a toujours été pour lui un facteur essentiel en escalade, et il investit presque tout son temps pour les perfectionner. Dans le karaté, l’aïkido, puis dans la danse, Antoine découvre de nombreux aspects qui rappellent l’escalade, des pratiques qui contribueront à l’élaboration d’un style qui lui est propre.

Lors d’un voyage en Angleterre avec J.-B. Tribout, en 1985, Antoine fait une démonstration impressionnante de ses compétences en réalisant Revelations en solo intégral. Cette voie passait à l’époque pour la plus dure d’Angleterre et comptait parmi les plus difficiles du monde! Des grimpeurs exceptionnels comme J.-B. Tribout considèrent aujourd’hui encore cette ascension en solo comme une des plus éblouissantes.  » Les voies que j’ai grimpées en solo intégral m’ont appelé à elles. J’y suis allé car j’avais l’impression que j’étais destiné à les faire. J’attendais le moment opportun, puis tout devenait facile. Je n’avais pas peur, j’étais si concentré qu’il m’était impossible d’avoir peur!  » Quand il grimpe, Antoine fait confiance à son instinct et se laisse guider par lui.  » Si tu réfléchis trop, si tu es trop intellectuel, tu hésiteras et tu tomberas. Si au contraire tu ne réfléchis pas trop, tu seras en accord avec le rocher. Les animaux, par exemple, n’hésitent pas, c’est pourquoi leur comportement m’intéresse. « 

S’efforçant de gagner sa vie comme grimpeur professionnel, Antoine suit une formation d’équipeur de voies. Les murs artificiels lui plaisent et ce métier ouvre à ce grimpeur créatif un nouveau terrain de jeu dès 1986, lui permettant d’imaginer son propre scénario pour chaque voie.

 » Au début, nous avions un délai de trois jours pour équiper une voie, et par la suite il s’est réduit à une seule journée et nous devions nous occuper de trois voies.

Compte tenu de l’inclinaison croissante, la créativité passait automatiquement à l’arrière-plan – je ne voulais pas seulement concevoir des surplombs idiots, mais aussi des dalles verticales techniquement éprouvantes. « 

S’étant blessé en équipant une voie lors des championnats du monde de Francfort en 1991, Antoine laisse tomber ce job et se spécialise dans le spectacle.  » Contrairement à la compétition, où l’on exhibe surtout l’énergie développée en escalade, la performance artistique peut faire passer un message au public.  » En 1994, Le Manège volant le place sous les feux de la rampe. Cette pièce réalisée en collaboration avec un mime, une danseuse et un musicien, sous-tendue par une chorégraphie harmonieuse et des musiques arythmiques, raconte l’histoire de l’évolution d’un homme.  » Je souhaite conduire les spectateurs vers une autre vérité, vers l’univers vertical, pour leur permettre d’acquérir une autre vision de leur propre réalité. Nous utilisons les moyens les plus rudimentaires, des barres d’échafaudages, un plan incliné, des matériaux de construction auxquels le citadin est sans cesse confronté, pour montrer aux gens que l’on peut faire tout autre chose avec ces objets. Le mythe des verticales est une composante essentielle de notre société édifiée comme une pyramide. Chacun cherche à atteindre le sommet, à gagner de plus en plus d’argent, à prendre davantage de pouvoir ou à posséder plus. Dans cette histoire, nous montrons que les valeurs humaines ont bien plus d’importance. « 

Ceux qui ont assisté à la performance d’Antoine ont été stupéfaits de son talent, fascinés par l’harmonie et la perfection de gestes qui défient toutes les lois de la pesanteur.

Antoine n’a pas abandonné l’escalade pour autant, mais beaucoup de choses ont changé depuis qu’il a rencontré Marie-Laure, sa compagne. Il est devenu plus ouvert, accorde davantage d’estime à ceux qui l’accompagnent, l’assurent et le sou-tiennent. Pourtant, il est resté égal à lui-même sur un point : quand il est sur les rochers, il donne tout.

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